Vasileios fronça des sourcils.
Mains sur ses genoux, il se tenait droit comme il se devait de l'être, regard observant mais désintéressé comme on lui avait enseigné. Il devait être froid, parfait, sans émotion, inébranlable. Digne des Grimms, digne d'Everwilde, digne de son conte.
Ou tout du moins, c'est ce qu'il essayait de faire.
Il ne réussissait pas aussi bien qu'il l'aurait voulu et cela l'irritait grandement.
Il aurait dû être meilleur que ça, il le savait, et pourtant... Et pourtant il ne pouvait retenir le froncement de sourcil et ses poings se resserrant caché dans le creux de ses cuisses. Inconfortable alors que toute l'attention était rivée sur lui et que les yeux ne le quittaient pas d'un cheveux ; il se sentait observé, disséqué, méprisé, jugé insuffisant par Everwilde entier.
La sortie au théâtre avait été l'idée des Frères, et non la sienne. Vasileios aurait été bien content de passer la journée dans sa chambre à lire un de ses livres, mais ses gardiens avaient insisté pour fêter ses efforts exceptionnels à l'école. "Une célébration pour tes efforts", avaient-ils dit. Une festivité pour l'émergence nouvelle de sa magie, comme si la capacité qu'il retenait de sa Mère était quelque chose de festif et plus que le rappel de son ascendance maudite. Ce n'était pas assez qu'il possédait ses yeux et son sang, il fallait qu'elle vienne empoisonner la seule chose qui pouvait le rendre utile.
Vasileios n'avait rien contre le théâtre : c'était impressionnant de voir les acteurs se présenter devant la foule. Mais c'était justement cette "foule" qui le mettait si mal à l'aise. La présence des Frères faisait déjà naitre des murmures parmi les contes déjà assemblés, mais ce fut un brouhaha véritable en comparaison lorsqu'il passa la porte. Le rejeton de Morgana ne passait pas inaperçu, véritable fantôme derrière les Frères, silencieux, maigrichon et inexpressif. Il mettait mal à l'aise, autant à cause des souvenirs encore frais de sa mère, mais aussi par ce regard si vide de vie. À peine 14 ans et Vasileios avait déjà maitrisé ses émotions—
Ou enfin.
Normalement il maitrisait ses émotions.
Présentement il ne maitrisait pas grand chose. Pas son pouls qui s'accélérait alors que ses yeux fuyants croisaient chaque regard évité ou encore la pression grandissante dans sa poitrine menaçant de l'étouffer avec ses griffes froides.
Vasileios était en chute libre, et il n'aimait pas ça. Mais alors pas du tout.
Il fut distrait pendant tout le spectacle malgré les efforts de l'histoire, musiciens ou acteurs. Mains crispées sur les bras de son siège et corps affaissé en souhaitant que les coussins de son dossier l'avalent et le fassent disparaitre, il sentait les murmures et les regards contre son cou ; on l'observait, il en était certain. Comme si l'attention lui glissait dans le dos comme un liquide glacial et brûlant, se répandant entre ses omoplates et lui coupant le souffle.
La fin arriva finalement, le libérant de sa prison de siège. Ses gardiens le quittèrent afin d'aller saluer les acteurs et Vasileios pris ceci comme une démission afin de fuir la bâtisse et prendre une marche : il n'allait pas aller loin, juste dehors, et c'est ce dont il informa Wilhelm. Juste une marche, juste une petite marche. Bouffée d'air le frappant comme un noyé, il se laissa guider par ses pieds, incapable de véritablement décider d'une destination.
Il releva les yeux alors qu'il se trouvait devant le chapiteau, puis jeta des regards autours de lui, un peu paniqué. Combien de temps avait-il marché? Combien de temps avait-il été absent? Il ne voyait même plus le théâtre d'où il était! Il était dans une partie du quartier qu'il ne connaissait pas du tout et pas qu'un peu perdu. Adressant un regard à la porte, il se rongea la lèvre en un tic nerveux, hésitant : rentrer ou ne pas rentrer... Quelqu'un à l'intérieur devait connaitre le chemin, ce n'était rien de leur demander un peu d'aide... si?
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