Tu sais qu’il n’est pas du genre à faire dans le sentimentalisme.

Alors, pourquoi ça t’agace autant ?

Tu grognes. Il va vraiment t’obligée à venir le chercher par la peau du cul, hein ? Oui, vos destins ne font pas vraiment de vous des bonnes personnes, mais ça ne l’excuse pas d’être un con finit. Après tout, tu le sais très bien. Ton père et lui, c’est une relation qui remonte à loin. Quand, il y a deux semaines, tu lui as fait savoir que ton paternel avait été admis aux urgences, tu ne sais pas pourquoi tu attendais de lui qu’il passe au moins lui dire bonjour.

Comme si ça ne te flinguait pas à petit feu de voir l’homme le plus impressionnant que tu n’aies jamais rencontré rattaché constamment à une bombonne d’oxygène, il faut en plus que ce que tu as de plus proche d’une famille ne montre aucun désir de le soutenir, ou même de te soutenir toi, pour ce que ça vaut.

T’es pas une fragile, tu l’as jamais été. Sans doute que si Dutch t’avait posé une paluche paternaliste sur l’épaule pour te lâcher un « je suis désolé Ragnhild, j’espère que tu tiens le coup », tu aurais directement été voir Raul pour le prévenir qu’un copycat a pris la place du vieux briscard… ou alors tu serais morte d’embarra, foudroyée sur place.

Mais t’es en colère et t’en a rien à foutre si tu lui reproches des choses qui, et tu le sais bien, n’arriveront jamais.

Si tu étais plus calme, tu pourrais te rendre compte que tu n’es pas en lieu de juger ton oncle de cœur. Toi non plus, tu n’es pas vraiment un exemple d’empathie. Mais là, c’est de ton père qu’on parle. Et tu n’es pas raisonnable quand on parle des quelques rares personnes qui ont pu se frayer un chemin jusqu’à ton cœur.

Alors t’es là, devant sa porte d’entrée. Tu sors un clope que t’allumes. Tu inspires la nicotine salvatrice, celle qui te donne la sensation de tenir le coup depuis que ton père a été admis à l’hôpital. Tu souffles le poison hors de tes poumons, essayant de trouver un semblant de calme.

C’est un échec.

La cigarette coincée dans le bec, ton doigt vient s’écraser à répétition sur la sonnette, nerveusement et rapidement. Tu matraques ce bouton une bonne dizaine de fois avant de commencer à frapper avec force la porte de plat de ton poing. Clope sauvée in extremis de ton autre main avant que tu ne te mettes à beugler.

- Sors de là, sac à merde !

Alors, oui, il est probable qu’insulter l’homme qui tu vois comme un oncle qui se trouve aussi être ton supérieur, ce n’est pas la meilleure idée du monde. Mais ça t’as attendu deux semaines pour voir s’il allait pointer son cul à l’hôpital, t’as passé le stade de la raison depuis longtemps. Tes doigts retournent à la sonnette que tu continues à maltraiter, sonnant une réelle alarme dans son domicile.

- Je sais qu’t’es là Dutch, putain ! Ouvre cette putain de porte avant que je la défonce moi-même !

Tu tires une nouvelle taffe parce que, vraiment, il a le don pour t’énerver quand il fait ce genre de trucs. Il y a quelques secondes de blanc avant que tu ne recommences à marteler de ton poing la porte d’entrée. Au stade où t’en es, t’en as pas grand-chose à foutre si on venait se plaindre de ton attitude dans les baraquements. Ton père mérite de voir son ami, même si l’ami en question a autant d’empathie qu’un balais à chiotte.

- Je te jure que je vais camper ici jusqu’à ce que j’arrive à amener ton cul de marin d’eau douce jusqu’à l’hôpital ! Ouvre. La. Putain. De. Porte.

Tu vois ça sale tête traverser la porte et, sincèrement, s’il n’était pas capable de se dématérialiser, tu l’étranglerais bien volontiers. T’as toujours eu la mèche courte et la seule personne qui arrive à te faire gagner des trésors de patience, c’est ton père. Ton oncle de substitution est bien loin d’arriver à générer cela chez toi. Il faut bien l’avouer, il ne fait aucun effort pour.

Cependant, ça serait mentir que de dire que tu n’es pas attachée à lui. Après tout, tu le connaissais déjà alors que t’étais qu’une petite morveuse qui mangeait de la colle. Mais qui a dit qu’affection et envie de meurtre ne pouvaient pas cohabiter ?

- Je te fais dire que j'ai jamais navigué en eau douce.

Oh, ça tu le sais bien. Et, de toute les insultes que tu es capables de lui lancer, t’as l’impression que celles qui touchent à son honneur de grand méchant pirate sont celles qui parviennent à lui tirer une réaction. Ça serait dommage de ne pas appuyer sur ce bouton que tu sais exister, après tout.

- Comment puis-je t'aider, Ragnhild ?

Tes bras se croisent et tu tapes furieusement de ton seul talon sur le sol, l’assassinant du regard. Tu ne sais pas s’il sait. Après tout, il t’a déjà prouvé plus d’une fois se montrer totalement imperméable à la bienséance ou simplement à la sociabilisassions de base.

- Tu sais très bien pourquoi je suis là, enfoiré, que tu bluff.

Avec lui, c’est toujours délicat de savoir sur quel pied danser mais tu as un avantage, tu n’as qu’un seul pied. Impossible donc pour toi de te lancer dans un spectacle de claquettes pour son plaisir.

- Je savais que t’étais un gros trou du cul, mais putain, tu pourrais faire un effort. Ça fait deux semaines que papa est à l’hôpital. T’aurais pu venir le voir, au moins 5 minutes. Je sais que t’en a rien à foutre, mais c’est pas son cas, ok ? Alors, si tu veux pas que je défonce cette porte et que je viennes moi-même te botter le cul, tu vas me suivre gentiment et une fois qu’on sera face à papa, tu feras semblant d’en avoir quelque chose à foutre de sa santé, ok ?

Tu t’avances, le regard toujours aussi sombre, clairement sur le point de péter les plombs pour de bon. Une main vient frapper de sa paume sur la porte, comme pour appuyer ton propos.

- Alors, maintenant, tu vas faire flotter ton cul de psychopathe jusqu’à l’hôpital, ok ? Vu l’impact que t’as eu dans sa vie, tu lui dois bien ça.