Habituellement, quand Rhapsody se transforme en petit rossignol, c’est le soir pour arpenter le ciel et observer le ciel étoilé et la ville illuminée, mais depuis quelques semaines, il avait changé sa routine pour se transformer après-midi, et plutôt que de voyager et de voler et d’étendre ses ailes, le voilà qui passait tout simplement de l’autre côté de la rue et qui se posait sur le rebord de la fenêtre du voisin d’en face, un drôle de bonhomme qui l’évitait toujours quand ils se croisaient (les rares fois où ils se croisaient, d’ailleurs), mais qui avait prit l’habitude de le tolérer quand il n’était qu’un petit oiseau. Ça ne dérangeait pas du tout Rhapsody, au fond, parce qu’il trouvait ça tellement plus simple d’être un oiseau, au fond. Comme si ses problèmes n’étaient plus si important, voir ridicules, même. Et cette personne en face, il l’aurait oubliée assez rapidement si ce n’était du son de son violon qui s’élevait parfois quand personne ne faisait attention.

Et s’il y a une chose qui motive Rhapsody, dans la vie, c’est la musique.

Alors il se planquait sur le rebord de la fenêtre, narguant le chat domestique qui le regardait au travers de la fenêtre en le regardant avec gourmandise. Rhapsody n’aimait pas les félins, pas plus que les prédateurs de la forêt, parce qu’il était un petit oiseau fragile et qu’il était si facile de se faire gober. Il s’installait là et puis il se mettait à chanter, sa voix se modulant pour créer des cœurs à lui tout seul, s’ajustant au rythme du violon pour un petit jam improvisé. Rhapsody assume que l’autre ignore tout de lui – un oiseau qui chante n'a rien d’Exceptionnel, au fond, mais ça lui plaisait de faire de la musique avec toi. Tu pratiques et puis tu t’ajustes, et lui aussi.

Est-ce froid de sa part de s’en faire très peu pour toi? Il est comme tout le monde – il veut quelque chose de toi, un fond musical dans sa vie. C’est ta musique qui l’émerveille, pas toi. Mais c’est comme ça pour lui aussi, parce qu’il a l’habitude qu’on reconnaisse sa musique, mais pas sa personne. Il avait une apparence des plus bénignes, de longs cheveux noirs et des yeux un peu trop gros, et aucune expression sur son visage. Au fond il est oubliable, et à force d’être traité comme un accessoire, on finit peut-être à déshumaniser les gens. Il ne s’imagine pas qui tu es où la vie que tu as, parce que ta musique lui suffit.

Mais aujourd’hui, il a commis une grave erreur.

C’est qu’en oiseau, il est très dur de voir le verre. Il a l’habitude d’être au bord de la fenêtre et d’avoir l’impression que le verre n'est pas là – alors même si la fenêtre était ouverte, il s’est installé comme d’habitude. Et quand il eu entendu plus de trois accords, il se mit à chanter, clairement, joliment. Mais ton chat l’a repéré aussitôt, s’est approché subrepticement et puis! Il a foncé pour attraper l’oiseau qui s’est envolé par instinct, qui a bondit dans l’appartement ((prison)) pour éviter les griffes et les crocs et pendant une petite minute qui parait éternelle, c’est le chaos : un oiseau qui vole au plafond, un chat qui grimpe et qui saute et  qui-

Et qui finit par attraper l’oiseau dans sa bouche pour le cromch. Sauf que dans un effort désespéré pour se protéger, Rhapsody se transforme en humain, bien trop gros pour se faire avaler. Oh – mais il n'est pas sans blessure, quelques gouttes de sang perlant sur son flanc et son bras où la peau avait été percée par la gueule du chat. Assis comme un idiot au milieu du salon, blessé et traumatisé par l’expérience, Rhapsody fixe ton chat d’un air absent. Grands yeux qui fixent et qui fixent sans ciller, mais il passe sa main sur son flanc et il grimace. La vérité c’est qu’il se met à trembler et à pleurer comme un enfant qui vient de se blesser en tombant d’un arbre. Pourtant ce n'est ni la tristesse, ni la douleur qui se lit sur ses traits – juste une absence troublante. Il lève les yeux vers toi comme si tu allais pouvoir régler tout ce qui se passe – le soigner, peut-être, chasse le chat, il espère. « 'Mal » et le mot sort si difficilement de sa gorge, comme un mot étranglé et éteint. Difficile de croire que c’était lui, le Rossignol qui chantait à ta fenêtre juste avant, d’une voix claire et franche. Mais même en un seul mot, on peut sentir qu’il a une parole chantante, douce, aussi.

Rhapsody n'est qu’un petit bout de douceur bien confus – mais il est entré dans ton salon par effraction, a bousillé tout le mobilier ((shout out à la lampe qui s’est étalé au sol et le verre de son ampoule fracassée)), et surtout, surtout, il s’est mis à l’aise dans ta vie sans que tu saches que c’est une personne et ça, n'est-ce pas une grande trahison?

Chat dans tes bras, Rhapsody semble se calmer un peu; il s’imagine que tes bras forment une barrière de protection qui empêchera le chat de finir le travail qu’il a commencé. Pas une seule seconde il estime que c’est le chat que tu protèges de lui, même si c’est évidemment le cas. Il se tient le flanc, là où des crocs se sont enfoncés, il saigne un peu et il a mal, mais la vérité c’est que le choc de l’attaque-poursuite était bien plus grand que la douleur qu’il pouvait ressentir physiquement. Bien sûr, ses espoirs vinrent mourir dans tes premiers mots à son égard, et ils le frappent comme un gros camion qui passe sur un escargot.

« Hum, je- » et la vérité c’est que Rhapsody n’est pas très volubile, lui non plus, avec les gens qu’il ne connait pas. C’est un grand timide, et un sensible en plus – s’il ne comprend pas toujours les réactions et émotions des gens, ça ne l’empêche pas de les ressentir fortement. Son instinct lui souffle de partir, mais son cœur tendre, lui, préfère essayer de régler la situation, quand bien même il ne comprend pas trop ce qui se passe. Ton chat dans tes bras, son regard à lui glisser sur l’état de ta pièce de séjour, avec la lampe brisée au sol. « J’étais venu chanter » qu’il dit, incertain de savoir s’il a répondre à ce que tu voulais. Parce que ta question est multifacette; il est ici parce qu’il était venu chanter, mais aussi parce que le chat l’a attaqué, autrement de quoi il ne serait pas entré dans l’appartement. Faire de la musique avec toi est bien, mais discuter… c’est plus compliqué. Et à voir ton expression, il a vraiment merdé ses chances d’avoir une bonne conversation avec toi.

« La fenêtre était ouverte » dit-il faiblement en se tournant légèrement sur place pour pointer la dite fenêtre, la même où il se perchait toujours. Il dit ça comme pour expliquer la suite logique de ta question – la fenêtre était ouverte, le chat a sauté vers lui, il est entré dans sa panique… mais Rhapsody, malgré tout, a un cœur doux, et maintenant que ses frayeurs se calment, il dit : « Est-ce qu’il va bien? » et il ne précise pas, mais c’est de ton chat qu’il parle. C’est toujours difficile avec lui de comprendre le contexte des bouts de phrases qu’il offre! Et puis, c’est vrai; il n’était qu’un petit oiseau quand ton chat était en train de le croquer, et la transformation spontanée en humain aurait pu avoir le chic de lui faire mal à la mâchoire ou de l’écraser un peu. Ses grands yeux noirs vous fixent, tous les deux, mais malheureusement aucune inquiétude se lit sur ses traits qui sont comme figés – le Rossignol a beaucoup d’émotions, mais il ne sait que trop rarement les exprimer à travers son langage corporel.

« Je t’aide à ranger » annonce-t-il en se levant, n’aillant clairement pas compris à ton ton que tu souhaitais tout simplement qu’il parte. Mais après tout c’était lui qui avait foutu le bordel, c’était normal que ce soit lui qui range. Il se tourne d’un coup pour regarder le verre par terre, et puis il se tourne à nouveau pour te fixer encore une fois; « Balais? » et il mime, pour une raison qu’on ne s’explique pas, l’action de passer le balais.

« Hum » fait-il, repoussant une longue mèche de cheveux hors de son visage et derrière son oreille d’un mouvement fluide; « Oui » Oui? Oui, tu t’en doutais, au fond ça tombait sous le sens qu’il soit venu pour chanter. Il a un peu de mal parce qu’il aurait cru que tu apprécierais sa présence. Ça provient d’une vie toute entière à se faire féliciter pour son talent en chant, pour le temps et l’effort qu’il y met, pour les émotions que ses chansons font grimper chez les gens. N’aimais-tu pas sa musique? Pour la première fois de toute sa vie, le Rossignol se le demande, angoisse de tout son être. Il y a bien des choses qui ne tournent pas rond chez lui, et sans qu’il puisse mettre exactement le doigt dessus, il n’était quand bien même pas dupe par rapport à cet état des choses, mais sa voix, elle, n’avait jamais été un problème. Il a du mal à comprendre que c’est pas tant sa voix qui dérange, pas le fait de chanter, mais plutôt l’intrusion dans la vie privée de quelqu’un d’autre. Faut dire que Rhapsody avait eu de très mauvais exemples dans a vie par rapport à respecter l’intimité des autres, à commencer par sa famille trop nombreuse où on partageait tout. Les seuls moments dans son enfance où il était seul, au fond, c’était quand on l’amenait tout au haut de la falaise pour qu’il chante pour les pêcheurs…

Et puis, ça clique un peu dans sa tête, là. Le voilà qui la penche, d’ailleurs, ses cheveux glissant doucement pour s’adapter à la nouvelle position de la chose. Ses grands yeux semblent te considérer un long moment, et il dit : « Pardon » ce n’était pas grand-chose, ce n’était pas la plus détaillée des excuses (I mean, il n’y a littéralement pas d’explication), mais Rhapsody commence à croire qu’il comprend. Parce que ta musique avait beau parvenir jusqu’à ses oreilles qu’il soit à ta fenêtre ou non, au fond… enfin, lui, quand il chantait en haut de sa falaise, loin de tout le monde, il avait beau savoir qu’on pouvait l’entendre tout en bas, il savait aussi que c’était un moment important. Le seul moment où il pouvait être seul avec ses pensées, et c’était, au fond, presque un moment d’intimité.

Et lui, il s’était inséré là-dedans sans même penser que tu pourrais ne pas le vouloir. Juste parce que tu produisais de la musique – comme si ta musique appartenait à tout le monde, lui y compris. Il ne comprenait pas tout, pas réellement, mais il pensait tenir un bout de vérité quant à ce que tu pouvais ressentir. Et puis, pour rendre ça pire, c’était pas juste que tu produisais ta musique, c’était que tu te pratiquais et Rhapsody savait que le produit pouvait être hasardeux, difficile. Lui-même devait se pratiquer encore et toujours, peu importe combien on lui répétait que son talent musical était inné (et, parfois, par extension, pas mérité, parce qu’il n’y a pas travaillé…) La pratique était quelque chose de personnel et parfois même gênant. Peut-être que c’était pour ça, aussi, que tu étais si fâché. Et puis il y avait l’affaire de ton salon qui était mis sans dessus dessous…

Mais le Rossignol pense qu’il rangera ta pièce et que de même il rangea vos problèmes, Comme si ce mal qu’il avait causé pouvait être réparé. Il se lève et commence à ramasser les éclats de verre comme toi – avec ses mains nues, ce qui était vraiment une belle invitation pour se couper, lui qui était déjà blessé… mais la question que tu lui poses le fait hésiter, parce qu’il ne la comprend pas. Il ne la comprend pas parce qu’elle est rhétorique et que le concept le dépasse un peu (pourquoi poser une question à laquelle on ne voulait pas vraiment de réponse), il ne la comprend pas parce qu'elle est jetée avec un peu de venin qui vient lui coller à la peau et le blesser sans qu’il ne sache mettre de l’eau sur la blessure, comme il ne peut pas la voir à l’œil nu. Et pour un instant, il se tait – enfin, ça n’a pas vraiment l’air d’autre chose que le silence dans lequel il s’emmure trop souvent, mais c’est comme si son être entier se refermait.

Ses lèvres restent fermées, mais ses bras s’agitent, eux, pour te dire quelque chose : Ta musique- et puis les bras s’arrêtent parce que dans son mouvement, Rhapsody s’est évidemment coupé avec les minuscules morceaux de verre et il grimace légèrement; il repère une poubelle et va y laisser tomber ce qu’il a dans les mains, et puis il se retourne, constatant une nouvelle fois de l’état des lieux. Il ne comprend pas totalement le nœud dans son estomac quand il te regarde et qu’il ressent ta colère, pense que c’est simplement qu’il a fait une bêtise et qu’il ne se sentira pas mieux avoir d’avoir aidé. Quelle drôle d’idée, vraiment, que de rester sur les lieux du crime! Ton chat est dans la pièce d’à côté (il n’a pas regardé, ça pourrait être autant une chambre qu’une salle de bain), alors il a libre possibilité de regarder autour de lui sans craindre de se faire croquer…

Pui lui ne voit pas, contrairement à toi, de problème à voir dans l’appartement l’un de l’autre. Parce qu’il vivait dans la même pauvreté que toi, au fond – qu’il l'avait presque choisi, elle qui était à ses yeux infiniment mieux qu’une vie passée recouvert de bijoux et de soies, comme possession pour un Empereur tout-puissant. Cette vie là; la tienne, la sienne, avait tellement plus d’importance pour lui. Ça lui rappelle aussi son enfance, c’est un point de confort pour lui – mais c’est facile, aussi, quand on a pas réellement peur de se retrouver à la rue, quand on peut gérer ses propres horaires et qu’on a pas de mal à se faire de l’argent. Il vivait en colocation et le poids de leurs dépenses ne pesait pas que sur lui, non plus… bref vos situations et vos points de vue sont tout à fait divergents sur la question, alors il ne pourrait pas comprendre, même si tu insistais sur la question. Puis c’est vrai – avant de venir sur le rebord de ta fenêtre, il avait bien « espionné » depuis la fenêtre de leur salon.

« Tu m’entendais pas de chez moi » dit-il d’un haussement d’épaules, tentant de repousser ce sentiment de malaise qui lui collait à la peau.

Rhapsody comprend sans comprendre; il n'est pas bon pour lui les gens, se méprend et se confond, mais la vérité c’est que tu sembles, sur le coup, comme accepter son pardon -petit, infime qu’il fut- et sans qu’il ne s’en rende compte, son niveau d’anxiété semble s’alléger. Il pense que c’est parce qu'il ressentait le besoin de le dire, et que maintenant c’était fait, sans se douter que c’était ta contenance à toi qui avait changée. En tout cas, peu importe son origine, il lui fit un peu de bien de moins s’inquiéter, sauf qu’avec la relâche de la tension, Rhapsody était plus à même de constater et ressentir le mal physique qui l’assaillait. Les plaies n’étaient pas profondes, heureusement, mais elles commençaient à s’inflammer et il faudra, tôt ou tard, les nettoyer, surtout celles à ses doigts qu’il fourrait partout sans égard à la salubrité. Quand bien même, il s’était promis d’aider avec le salon, alors la douleur perçante à ses côtes attendra…

Et puis tu lui réponds. Il t’a demandé où aller les jeter – et t’as répondu. C’était quand même vachement mieux (pour lui) qu’une simple demande à ce qu’il parte, te laisse ranger tout seul. Et son visage s’illumine – trop vite, trop fort- alors qu’il hoche vivement de la tête; se retourne, semble chercher des yeux, et puis ces derniers se reposent sur toi. S’il avait simplement fait deux pas de plus dans la direction opposée, il aurait sûrement vu où était la cuisine, mais la vérité c’est que s’il t’épiait par la fenêtre, c’était généralement pour ta musique et franchement pas pour les activités plus mondaines que tu avais ici. « La cuisine? » fait-il, une inclinaison interrogatrice dans sa voix mélodieuse. Il ne faut pas grand-chose pour l’envoyer sur le bon chemin; il ouvrait la porte sous l’évier, jette le verre, hésite, et puis prend la poubelle pour l’emporter vers le salon. Pour que toi aussi, tu puisses ranger les éclats de verre que tu avais pris en main.

« Oh, hm- » fait-il, baissant les yeux en posant la poubelle près du dégât. Il y avait de la tristesse dans ses grands yeux noirs. Il n’était pas certain – aurait pu te demander si tu voulais lui dire de ne plus entrer dans ton appartement ou de faire peur à ton chat, ou, pire, si tu voulais dire que vous ne pouviez plus faire de la musique ensemble. L’oiseau a le cœur sensible, après tout, il n’ose pas demander, de peur du pire – mais ne devait-il pas assumer le pire, s’il allait dire qu’effectivement, il n’allait pas recommencer? Il semble pris d’un conflit interne, d’une hésitation marquée par le silence qui s’était installé entre vous. Tu aimes le silence, et Rhapsody n’aime pas parler. Difficile de croire que vous n’êtes pas faits pour vous entendre, et pourtant, ta vie étant ce qu'elle est…

« Est-ce que… » il replace une mèche de cheveux derrière son oreille, mais ils reviennent inévitablement devant son visage. « Tu veux dire qu’on ne pourra plus faire de la musique? » surement la plus longue phrase qu’il a dite aujourd’hui, il semble se tortiller sur place comme le font certains enfants qui se sentent mal dans leur peau – et pourtant son visage, lui, n’exprime pas grand-chose. Il finit par poser les yeux sur toi, à nouveau, pour ce que ça changeait. Le voilà qui fait glisser une mèche de cheveux entre ses mains, encore et encore. Il hoche négativement de la tête, fronce des sourcils – manifestement, cela ne faisait pas son affaire, mais il ne savait pas comment l’exprimer à voix haute. Comment te dire que ta musique était belle. Lui, tout ce qu’il voulait, au fond, c’était que sa musique vienne toucher le cœur de ceux qui l’écoutent, et ta musique, elle, avait eu cet effet pour lui. Alors tu ne lui demandais pas juste de te laisser tranquille, tu lui demandais d’abandonner un bout de bonheur dans cette vie trop difficile. Et ça, c’était dur à lâcher. Ses lèvres se mouvent comme pour dire quelque chose, mais il semble qu’il eut abandonné à mi-chemin; hoche encore négativement de la tête, et puis la penche sur le côté. Il y aurait tant de choses à dire, mais il attendant, moins comme le rossignol et plus comme l’aigle, il te fixe.

Espère.

Tu dis oui et il tremble; mais la vérité c’est que ta voix est douce et peut-être a-t-elle des traces de douleur qu’il ne comprend pas mais qu’il ressent. Tu dis oui c’est ça, mais c’est un peu comme si c’était à regret, n'est-ce pas? Ou alors il se fait des idées – il est très bon pour ça. Il est confus parce que tu dis que vous ne pouvez plus faire de musique ensemble, mais que te le dis tellement doucement, et ça, n'est-ce pas pour mitiger sa peine? Il ne sait pas – ne sait pas que tu parles toujours comme ça, sans élever sa voix. Habituellement, quand il faisait une bourde, on ne se gênait pas pour le lui dire, alors il ne te comprend pas. Tu étais fâché, au début, ça se sentait. Mais plus là et ça laisse ses émotions en dérive, en déroute. Te jettes le verre et tu ramasses des morceaux de pot de plante et il se penche pour t’aider, en silence. Et au fond, le silence, il a bien fait de le maintenir, parce que tu reprends encore la parole. Tu dis des mots qui n’ont pas de sens pour lui – si tu ne voulais pas de lui ici, alors pourquoi lui parlais-tu si normalement de la chaleur dans ton appartement? De la fenêtre ouverte, toi qui pourtant la laissant sa souvent fermée dans les dernières semaines?

Et puis tu mentionnes le chat et il tremble à nouveau – de peur, surtout. Mais pourquoi cela est-il une information pertinente pour lui? Il n’a plus le droit de venir à ta fenêtre, tu as bien expliqué que ça ne te faisait pas plaisir. Alors il ne dit rien, parce que les informations tournent dans sa tête sans qu’il ne les comprenne bien. Faudra bien faire attention à la chatte et- et n'est-ce pas dirigé vers lui tout entier, ça? Ou est-ce une menace de plus, pour lui dire qu’à partir de maintenant, il y aura toujours le chat pour s’assurer qu’il ne se faufile pas en douce près de la fenêtre pour écouter? Son cœur chavire et sa gorge se noue, mais il ne pleure pas – pas parce qu’il n’en a pas envie, mais parce qu’au fond c’est lui qui est en faute et il se dit qu’en pleurant ici, il se poserait en victime d’un crime qu’il a commis lui-même.

Alors il attendra d’être revenu à la maison.

Et puis vous finissez de ranger ce que vous pouvez ranger, et il lui devient évident qu’il n’a plus d’excuse, de raison pour rester ici. Tu as dit ce que tu avais à dire, après tout. « Hm- » il attire ton attention, mais son regard est fuyant. « Au revoir  »et puis il tique; peut-être était-ce les mauvais mots, puisque tu souhaitais sûrement ne jamais le revoir? Mais c’était la formule d’usage, après tout. Ses mains s’agitent, te font un petit salut de la main bien maladroit, et puis, comme il n'a pas de chaussures, il ouvre la porte du balcon pour sortir de chez toi par là; grimace, mais se transforme bien en petit oiseau de rien, et volette de peine et de misère jusqu’à la fenêtre ouverte de sa chambre.

Maintenant – maintenant, il fallait se soigner un peu, sinon il allait se faire gronder.