Musique roulant dans mes oreilles via mes écouteurs Bluetooth, le plancher de la boulangerie est devenu piste de danse alors que je m’affaire à passer ls serpillère après une dure journée de labeur, qui pour moi a commencé vers les trois heures du matin, comme toujours. Je ne suis habituellement pas chargé des fermetures comme je fais habituellement l’ouverture, mais une collègue était malade, alors j’ai proposé de la remplacer. Et puis, je suis jeune, j’ai peu besoin de dormir, qu’est-ce qu’une journée de douze heures, après tout? Puis ce qui est très, très cool, c’est que quand je fais la fermeture, je peux empocher tous les invendus ((habituellement faut les jeter, mais pas question de me débarrasser de bouffe encore fraiche!))

La serpillère passée, la vaisselle lavée et rangée, j’observe la check list de fermeture pour m’assurer que j’ai tout bien fait et puis, tout simplement, je ferme les lumières et je mets la clef à la porte.

Pour tomber nez à nez avec quelqu’un qui tentait de l’ouvrir.

 « Oh, pardon, on est fermés »  dis-je rapidement en rangeant les clefs dans la poche de ma grosse veste; je pointe l’écriteaux de nos heures d’ouverture pour appuyer mes dires, mais une hésitation marquée me prend. Après tout, si t’as faim, j’ai bien quelques trucs dans mon sac à dos – bien trop de trucs pour que je les mange tout seul, en fait. Je comptais l’apporter au Q.G. des sentinelles, mais…  « Viens, mon mignon »  te dis-je simplement, te faisant signe de la main pour te mener vers le petit parc qui était juste en face. Et pour que tu comprennes de quoi il en retournait, j’ouvre mon sac à dos qui était posé à mes pieds pour te montrer toute la bouffe qui était dedans.  « Si tu l’dis à personne, on peut partager »  dis-je simplement en refermant le tout et en le posant sur une de mes épaules ((pas deux. Mon dos souffrira plus tard, mais à 19 ans, c’est pas une de mes préoccupations)) et puis, juste comme ça, je me dirige vers une des tables à pique-nique sans me retourner – soit tu me suis, soit tu me suis pas, au fond. Moi, après deux heures à travailler dans une boulangerie, j’avais grand besoin de reposer mes pieds et de manger un truc ((ou trois)).

 « Moi c’est Sorel »  dis-je sans relever le nez de mon sac à dos que je venais d’ouvrir, sentant que la place à mes côtés venait d’être prise par quelqu’un ((toi)).  « Mes pronoms sont il / lui »  que je précise ensuite, pas habitude, d’un ton neutre et pratiqué pour ne pas déranger le juste monde.  « J’aime trop ta coupe de cheveux »  que je dis en relevant le nez de mes affaires, sourire timide sur les lèvres.  « Tu te sentais partant pour quoi? Un truc sucré, un truc salé, plus un repas ou une collation? J’ai des tartelettes à la viande que je meure d’envie de dévorer, mais on peut avoir chacun la nôtre. J’ai aussi un croissant aux amandes, une miche de pain aux graines de tournesol eeeeeeeet des brownies »  petit rire ponctué de ma part, et ma couette se dandine à l’arrière de ma tête.

 « Pardon, j’me sens comme un revendeur de narcotiques »