Merlin n'était pas quelqu'un de très impatient.
Oh, les Grimms vous le diront.
Quiconque connait un minimum les ages qu'il a vu se déverser comme l'eau d'une rivière pourra vous l'affirmer.

Merlin. N'est. Pas. Impatient.
Oh, mais l'envie de taper du pied et de ressembler plus à sa défunte "mère" le tracasse depuis un moment. Cuillère en bois dans sa main et mine agacée sur le visage, il ne manquerait que le tablier fleurie et il serait l'image même d'une maternel attendant son fils.
Et vraiment, n'était-il pas exactement cela en ce moment?
Un parent se demandant où son enfant pouvait bien être à une heure si tardive.

Emrys ne serait jamais le premier à se nommer père d'Alastair, tout simplement car le mot était douloureux. Un seul l'avait autrefois appelé Papa, et voyez où cela l'a mené... Était-ce peut-être une façon de se protéger? Certes, peut-être, mais le mot ne sonnait que trop mal dans la bouche d'Emrys, alors il s'en refrénait. Mais même lui ne pouvait nier le sentiment d'attachement qui le reliait à son Arthur, bien plus qu'un conseiller à son roi ou un ami à son souverain. Peut-être dû au fait qu'Emrys avait devancé le destin en trouvant l'orphelin plus tôt que ses prédécesseurs, mais la destinée en avait décidé ainsi, et il n'était pas du genre à douter de ses instincts.
Mais ce sentiment d'attachement était souvent accompagné d'une pointe d'inquiétude et d'insécurité. Pas la sienne, pas vraiment, plutôt celle d'Alastair. Il ne prétendait pas tout comprendre ce qui se tramait dans la tête de son protégé, mais Emrys le connaissait si bien, mentalement et normalement, que les doutes qui tracassaient son pupille était assez évidents — pas que Alastair était quelqu'un de très subtile et habile aux cachoteries, oh non —. Une page blanche à ses yeux, il était rare que le Druide n'était pas au courant de quelque chose lorsqu'il était sujet de son élève, que ce soit pour le meilleur ou le pire.

Alors qu'Alastair lui cache quelque chose? Et qu'il sente un refus de sa part de le partager?
C'était suspect.
Et pas qu'un peu.
Fidèle à son conte, Alastair savait comment se foutre dans les pires situations, qu'il le veuille ou non. Un silence radio comme ce dernier ne pouvait annoncer que du mauvais.

Ainsi, au moment même où Emrys senti Alastair se rapprocher de la maison, il était prêt à l'accueillir avec toute la grâce d'une sorcier plurimillénaire. Ou d'une mère attrapant son jeune de retour d'un rancard.
— Je suis rentré ! Désolé pour le retard, j’aurais dû prévenir. Tu m’as gardé un peu du souper de côté ?
Cuillère en bois balancée sur ses hanches, il fixait Alastair avec le regard ayant déjà fait croupir des armées et plus qu'une tulipe dans le jardin.
— Et quelle heure penses-tu qu'il est?

Yeux d'un bleu céruléen fixaient le jeune roi alors que ce dernier effectuait sa marche de la honte vers le reste de la maisonnée.
— Ouais, désolé… j’aurais dû prévenir…
Haussant un sourcil, Emrys continuait de l'observer, conscient que le regard fuyant d'Alastair ne rencontrerait pas le sien.
— J’étais occupé à un truc et j’ai pas vu l’heure passer. Mais eh, je suis là, en un morceau et en bonne santé. Donc, pas de raisons de s’inquiéter.
Pas de raison de s'inquiéter?
Connaissait-il véritablement son mentor pour ainsi affirmer qu'il ne devait pas s'inquiéter?
Bien sûr qu'Emrys s'inquiétait de voir son "fils" adoptif valser hors de la maison, le coeur lourd de culpabilité et de stress et revenir à des heures tardives inexplicables! Le sorcier savait qu'il n'existait aucun os méchant dans le corps du blondinet, mais c'était justement cette gentillesse qui lui faisait si peur : Alastair était trop gentil, trop rapide à dire "oui, bien sûr" et ce, malgré son propre avis sur la question ou son bien-être.
Si l'on disait impossible de mourir de trop de gentillesse, Alastair vivait pour contredire.
— Bon, ok ! Oui ! J’ai peut-être fait une connerie, ok ?!
Soupirant, Emrys fit demi-tour et retira du frigidaire une assiette de sa Shepherd's Pie qu'il fit réchauffer d'un regard — paresse de partir le four pour la réchauffer de façon adéquate — puis la déposa devant Alastair, fumante et encore croustillante grâce au réchaud spécial Emrys.
— Mange avant, tu me diras après.
De retour dans la cuisine, il se munit d'une tasse et y versa le thé qu'il avait fait entamé en attendant. Revenant à la table, il se posa devant le blond et pris une gorgée, colère disparue de son regard, mais pas complètement de son esprit.

Emrys n'avait jamais été une figure parentale très stricte, surtout pas lorsqu'il s'agissait d'Alastair. Oui, il lui était arrivé de se fâcher comme tout bon adulte en présence d'un petit gamin se croyant tout permis — les deux figures attelés à la table ne parlent pas trop de cette époque —, mais il n'avait jamais vraiment pu rester irrité longtemps envers Alastair. Peut-être parce qu'au fond, Emrys savait très clairement qu'Alastair se punissait déjà bien assez dans sa tête tout seul.
— Il se pourrait que j’ai été… Argh ! Je sais même pas comment formuler ça !, Emrys pris une gorgée de son thé, très content d'attendre la réponse autant de temps que cela prendrait (on ne vit pas plusieurs millénaires sans développer une patience pour les gens incapables de formuler leurs mots) — Il se pourrait que je rentre tout juste d’une réunion des Évadés… — et il s'arrêta sec dans sa gorgée, oreilles enregistrant la réponse, mais le cerveau incapable de comprendre les mots venants de sortir de la bouche d'Alastair, Mais je compte bien suivre ma destinée ! C’est juste, une chose en entrainant une autre, je me suis retrouvé impliqué sans trop savoir comment. C’est fou la vie, n’est-ce pas ?, Emrys.exe stopped working, Je sais pas comment me retirer de tout ça sans me foutre dans la merde ou sans foutre d’autres personnes dans la merde. C’est quoi le protocole pour quitter les Évadés ? J’ai vu leurs visages et tout le bordel… Ils vont pas me laisser juste partir, n’est-ce pas … ?—
Emrys laissa sortir le thé valser dans les airs en une magnifique imitation d'un geyser, manquant de peu de tremper son fils.

Silence s'installa.

Bouche béante, Emrys fixait Alastair, incapable de rattraper les derniers mots qu'il avait prononcé.
— T-tu... Toi... Réunion... Évadé..., clignant des yeux comme un hibou, il répéta, comme si redire allait mieux l'aider à capter ce que le blond venait de lui admettre.

Alastair venait de trouver une façon efficace de briser Emrys en quelques phrases à peine.

Emrys se taisait encore, silence comme une présence tangible dans la salle, un troisième spectateur à l'effroi du magicien.
— Ouais, je sais… J’ai vraiment merdé… Mais t’inquiète pas, je vais bien trouver une solution hein ?! Il y a forcément une solution pour me sortir de là…
Rire nerveux sorti immortel de sa trance, le présent le fracassant avec les dires de son fils adoptif. Clignant des yeux une, deux, trois, peut-être quatre, fois, Merlin revint à lui même avec un soupir fatigué et ses yeux reflétant soudainement son age réel.
— Putain de merde… Je suis désolé Emrys… Je vais me sortir de là, je te le promets.
Le sorcier haussa un sourcil, un "Language" mort à la graine, oublié par l'aspect du moment et l'énormité de la situation. Attrapant sa tasse, il observa le dégât d'un regard désolé —désolé pour son thé maison désormais déversé sur la table et s'infiltrant lentement dans les grains de la table en bois franc— avant de ramasser le liquide en un geste de la main et le déverser par la fenêtre désormais ouverte au-dessus de son épaule. Reposant sa tasse sur la table, il ferma ses yeux, expira, inspira, expira puis inspira de nouveau ; petit instant afin de reprendre son sang froid, il ouvrit de nouveau ses oculaires dorés.
— Respire Alastair, tu n'accompliras rien avec l'impulsivité ou en paniquant. Il entrecroisa ses doigtés devant lui, Qui est au courant?, "Quelle était la gravité de la situation? Jusqu'où devait s'étendre son contrôle des damages?"

Emrys ne se considérait pas comme une figure parentale très stricte —et oh non, il était bien loin d'être exigeant envers ses protégés—, mais même lui tirait sa limite à quelque part. Mais ce n'était pas quelqu'un qui criait contre ses enfants, et on pouvait même argumenter que son silence était bien plus grand châtiment qu'un quelconque sermons. Et Emrys n'en était pas à son premier enfant, ainsi les regards de pitié que lui envoyait Alastair le touchèrent, comme tout parent tenant à ses charges, mais pas plus que ça.
— Les gens qui étaient à la réunion de ce soir, j’imagine… ? J’ai pas retenu tous les noms ou tous les visages. Il devait y avoir une quinzaine de personne ? Pourquoi ?
Emrys nota la réponse volontairement vague. Qui donc Alastair pouvait-il protéger de la sorte-
— Tu crois que je devrais en parler à Dolo ou Erle… ? Je suis trop beau pour la torture…
Se pinçant l'arrête du nez, Emrys laissa sortir un soupir lorsque le nom de deux autres de ses "enfants" fu énoncé.
Que faire... Que faire...
C'était exactement pour ces raisons-ci qu'il se tenait loin des conflits entre les Sentinelles et les Évadés, faisait de son mieux pour ne pas s'allier à aucun des deux côtés. Imaginez le bordel que son allégeance causerait pour l'un ou l'autre des champs?
— Non. N'en parle pas à ni Dolo, ni Erle, ni Abott ou Svane.
Son regard vaqua vers la fenêtre à ses côtés, essayant de puiser un peu de force mentale dans le noir du ciel de nuit.
— Tu n'auras affaire à ni la torture, ni la pression des Sentinelles, et ceci, je t'en fait la promesse.
Emrys avait beau ne pas vouloir s'associer à aucun des deux camps et à se tenir le plus loin possible des enjeux, cela ne voulait pas dire qu'il était prêt à tourner de l'oeil quand le bien-être et la sécurité de ses protégés étaient en jeu.
— Je peux savoir pourquoi tu étais rendu à une rencontre de l'Alliance?
Oh, Emrys n'était pas ignorant de la fâcheuse manie de l'Arthur à se foutre dans les pires situations uniquement par sa chance et son attitude, mais ceci dépassait la simple malchance d'Alastair. Quelqu'un lui avait proposé et Alastair, dans son immense gentillesse —et qu'Emrys l'adorait, mais des fois il lui tapait sur les nerfs— n'avait vraisemblablement pas pu dire non. Et ce quelqu'un, Merlin possédait sa petite idée quant à son identité, mais il souhaitait l'entendre de la bouche du concerné.
— Si c'est quelqu'un que je connais personnellement, je peux t'assurer qu'il n'y aura pas de répercussions ou tout du moins, pas des trop sévères. Il était assuré que la personne concernée se rendrait toute seule de la gravité de ses actions et que sa culpabilité serait suffisante afin de le punir.
— Assure moi au moins que c'est une personne digne de confiance qui n'ira pas tout raconter au premier venu.

Voir Alastair se tortiller ainsi devant la pression ne réjouissait en rien Emrys, mais il savait que s'il ne le forçait pas un peu, il n'allait pas recevoir de réponse. Il fallait qu'il se montre patient envers le plus jeune.
— Svane m’a donné rendez-vous. Je pensais qu’on allait juste passer du temps ensemble… Et je me suis retrouvé coincé en plein milieu d’une réunion. Svane n’était même pas là.
Emrys inspira sèchement, air rentrant dans ses narines en un soupir entamé et résilié à moitié. Se douter de quelque chose et avoir ces doutes confirmés étaient deux choses bien différentes. Amenant sa tasse à ses lèvres, il se souvint que sa boisson était présentement en train de nourrir ses Népétas dehors. Il la reposa sur la table, un peu déçu.
— Mais Abbott sait… il est l’un des leurs…
Oh, Emrys n'était pas inconscient du status d'Abbott.
— Je suis désolé. Je suis vraiment un crétin, n’est-ce pas ? Mais je ne pense pas que Svane n’aille raconter ça à n’importe qui. Et, si je comprends pas pourquoi il a fait ça… il doit bien avoir une raison, non ? Je suis vraiment désolé… je voulais pas t’inquiéter avec ça… Je suis vraiment le dernier des cons…
T'es sûr qu'il avait besoin d'une raison ou il a juste oublié que tu faisais parti de l'Ordre?
Marmonnant une légère réprimande envers le père d'Alastair pour lui avoir légué cette boule de joie et de soleil, il ferma les yeux une seconde, peut-être deux.
— Si c'est Svane et Abbott, on peut au moins être sûrs que ces deux-là préfèreraient tout sauf dévoiler ta présence. Commence par adresser les problèmes un à la fois, pour ta sanité Emrys. Tout ce que tu peux faire, c'est rester discret et ne pas attirer l'attention. Je ne peux pas te blâmer entièrement, tu n'as pas vraiment consenti à cette excursion, Emrys fixa son fils dans les yeux, pesant le poids de ses prochains mots d'un regard soutenu, Mais je préfère autant m'inquiéter pour toi que tu me caches des choses car tu as peur de ma réaction. C'est mon rôle de m'inquiéter pour toi Alastair, que tu sois adulte ou pas.
Et Emrys parlait bien du fait que, malgré leurs rôles respectifs, malgré leurs ages, Merlin protégeait toujours son Arthur, comme Emrys protégeait toujours Alastair, qu'ils soient père et fils ou roi et mentor.
— Quant à Svane et Abbott, je suis convaincus qu'ils se rendront compte du danger dans lequel ils t'ont mis seuls et que ceci servira amplement de punition pour avoir mis ta santé en péril.
Ça ou Emrys se chargerait lui-même de leur rappeler leur devoir.

Emrys soutint le regard que lui envoya Alastair, puisant dans toutes sa sincérité afin de faire parvenir au plus jeune qu'il n'allait pas s'en prendre à ses autres "enfants"... Maintenant.
— Abbott n’y est pour rien. On s’est juste croisés là-bas. On s’est juste un peu plus rapprochés en tant qu’amis mais il était surpris de me voir à l’une de ces réunions. Il n’a rien dit à personne.
Il a intérêt, se retint de marmonner Emrys. Merlin n'était pas une personne vindicative, ou tout du moins pas beaucoup, mais il n'hésiterait pas à mettre de côté les bonnes relations qu'il entretenait avec Abbott le temps de lui faire comprendre que la santé et sécurité d'Alastair était bien plus importante à ses yeux que ses "bonnes relations".
— On va commencer une partie de donjons & dragons ensemble d’ailleurs.
Laissant sortir un "hmm" inquisiteur, le magicien se leva finalement de sa chaise afin de se diriger vers la petite cuisine de sa demeure pour y déposer sa tasse souillée et tristement vide. Il gardait son attention sur la conversation avec son "fils", mais vraisemblablement Alastair avait décidé de changer de sujet, et il lui donnerait cette petite victoire. Il n'était pas familier avec ce... Donjons et Dragons? Il espérait tout du moins que c'était moins violent et dangereux que le nom l'insinuait.
— Il se fait tard, tu devrais aller te coucher Emrys. Tu n’aurais pas dû m’attendre aussi longtemps, tu sais… Tu vas être claqué demain.
Il laissa sortir un rire dérisoire, sec et court, très peu caractéristique. Était-ce l'ironie de la chose qui l'avait fait rire de telle manière? Quand est-ce qu'il n'était pas "claqué"? Il fit couler un peu d'eau dans sa tasse en un effort de faire disparaitre la trace de thé sur le rebord de la tasse, en vain. Cette dernière avait servi beaucoup trop de fois pour que la cerne disparaisse maintenant, et encore moins avec un effort aussi inutile qu'était l'eau du robinet.
— Tu veilles comme ça à chaque fois que j’oublie de te prévenir quand je découche ?
Il tourna la tête légèrement vers le blondinet, pesa ses mains quelques instants, avant de répondre,
— Pas tout le temps
Tout le temps, ne dit-il pas. Certes, il y avait toutefois des fois où il était moins "je veille afin de voir débarquer Alastair et m'assurer qu'il est bien en vie" et plus "je lis un livre en attendant qu'il revienne car je sais qu'il n'est pas en danger".
— Des fois je lis un livre à la place d'être assis à la table avec mon thé, il adressa un regard déçu à la fenêtre, Ou tout du moins, des fois j'arrive à boire le thé...