Vendredi soir – si la plupart des gens en profitent pour sortir et faire la fête, et bien disons que Rhapsody, lui, était la fête à laquelle on se rend! Enfin; il n’était pas le seul à performer ce soir, bien au contraire; il n’était que l’entracte, pour ainsi dire, au numéro habituel du Cauldron Enchanté. Quand bien même il n’était pas le numéro habituel du soir, Rhapsody donnait tout ce qu’il avait dans son travail – ce n’est pas un fainéant quand vient le temps de chanter, lui. En fait, en tout ce qui concerne la musique, il était parfois difficile de l’arrêter ou de détourner son attention, à croire que son neurone s’excitait quand il venait le temps de produire des sons. Passons.

C’est Maddy qui chante ce soir (comme tous les soirs, il lui semble, mais il ne vient pas souvent ici, comme c’est le quartier du mal et que Rhapsody est un oiseau sensible), et durant sa pause à elle, il glisse sur scène pour prendre place. Il a l’air de rien; quand Maddy a arrêté de chanter, les voix se sont élevées dans des discussions en tout genre, et à vrai dire personne n’avait porté attention à son arrivée à lui. Il n’a l’air de rien; pas particulièrement grand ou petit, les cheveux longs et noirs, les yeux sans expressions (comme le reste de son visage, d’ailleurs), Rhapsody a troqué ses habituels vêtements trop larges pour un col roulé ajusté au corps (il est musclé. Allez savoir comment ou pourquoi, ça se voit en ce moment), noir comme ses jeans. Non; vraiment, Rhapsody n'est pas du genre à faire tourner les têtes. Pas avec son apparence, en tout cas.

Faut dire qu’il ne dégage pas beaucoup d’énergie, non plus, sur scène. Il trouve un tabouret et s’y installe tout simplement, aucun micro en vue dans sa main parce qu’il a un bon coffre.

Et puis il commence à chanter. Sa voix est claire, forte, envoutante et enjouée -parce qu’après tout, les vendredi soir sont faits pour danser, pas vrai? Sa voix a un quelque chose de pas très humain, parce qu’il est capable de produire des notes dites harmoniques. Qu’il est une chorale à lui tout seul (ou presque). Qu’il se lance dans sa chanson en fermant les yeux à demi pour se concentrer sur les notes, et qu’elles donnent l’impression de faire vibrer l'air autour de lui. Aucun artifice de magique ici – c'est simplement qu’il est comme ça, honnête chanteur au profil oubliable, mais à la voix touchante. Il chante mais ses chansons ne sont pas tout à fait justes – elles sont plutôt produites avec le cœur et changées selon ses lubies, et les mots se perdent un peu pour devenir un amalgame de sons qui partagent plutôt l’émotion.

Et puis c'est tout; Maddy est prête à revenir sur scène, alors aussi discrètement qu’il est arrivé, le voilà qui se lève de sur son tabouret et qui cède sa place (à regret, certes) pour retourner dans la petite pièce que les performeurs partageaient pour se préparer. D’ici, il peut entendre Maddy chanter – et plutôt que de ramasser ses choses et de partir, le voilà qui languit dans la pièce, qui ferme à nouveau les yeux pour écouter la chanson de sa collègue d’un soir, qui fredonne des notes pour l’accompagner que personne d’autre que lui n’entendra.

Et puis sans faire attention, la fin de la soirée s’annonça. Les patrons étaient invités à finir leurs boissons et repartir dans la nuit, mais lui était toujours là, le regard vide mais le cœur plein d’espoir. Il n'est pas doué pour approcher les gens – ne connait rien du timing et de la manière d’approcher les gens, alors c’est sans surprise qu’aussitôt que tu arrivas dans la petite pièce pour retirer les artifices de ton emploi (on imagine, maquillage et puis bijoux, voir même faire un changement de tenue, que lui avait déjà fait pour se retrouver dans un t-shirt qui était trois tailles trop grand pour lui), il t’aborde sans attendre, se levant d’un bond de son siège.

« Maddy! » dit-il, sa voix modulant naturellement alors qu’il t’accoste; « Super soirée! » oh; voulait-il dire que ça avait été une bonne soirée, ou qu’il avait apprécié ton spectacle, ou qu’il te souhaitait d’en avoir une?

Oui.

Oh, il aurait pu ajouter quelque chose; continuer à parler, mais il est soudainement pris de timidité. Alors le voilà qui te fixe avec ses gros yeux noirs, à avoir l’air d’attendre quelque chose qui n’était, dans ce contexte-ci, vraiment pas clair. Bonne chance!